Paris, le 24 février 2020
Monsieur le Ministre,
La pratique de la psychiatrie impose parfois pour la sécurité des patients autant que des personnels, l’application de mesures privatrices de liberté. C’est le cas des hospitalisations sans consentement, des mesures d’isolement et de contention. Nous soutenons et encourageons pleinement les mesures permettant de ne pas y recourir, d’autant plus que ces situations extrêmes peuvent entraîner un traumatisme psychique aux conséquences durables.
Le recours à ces pratiques est la résultante de nombreux facteurs intervenant avant la survenue de la crise et leur limitation ne pourra être obtenue que dans le cadre d’une action globale visant à l’amélioration de la qualité des soins en particulier ambulatoires et à la prévention des ruptures de parcours. C’est la constitution d’une capacité suffisante d’accueil par les psychiatres libéraux, les structures ambulatoires et hospitalières de secteur, ainsi que les autres structures de psychiatrie privées et publiques, qui raréfiera la constitution de situations cliniques dégradées imposant des mesures de contrainte. Nous pensons donc que la question du consentement doit faire l’objet d’une réflexion plus large incluant l’ensemble du parcours de soin.
En tant que représentants de la communauté psychiatrique, nous sommes pleinement en accord avec ce que dit l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 : « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. ».
Cependant, le projet de décret d’application de cet article de loi définit des critères de durée et de renouvellement très stricts, dont l’application paraît difficile si ce n’est impossible en raison notamment des moyens actuels de la psychiatrie publique.
Plusieurs points nous semblent devoir être soulignés afin que notre propos soit bien compris sur ce sujet de première importance. Notre démarche vise la forme et aucunement le fond :
1- Les pratiques de contention et d’isolement sont favorisées par la dégradation de l’offre de soin psychiatrique, notamment la pénurie de psychiatres et de personnels soignants des établissements publics, qui, lorsqu’ils sont en nombre suffisant et ont reçu une formation adéquate, peuvent agir de manière préventive ou offrir une alternative à ces mesures de dernier
recours.
2- Tout alourdissement des procédures bureaucratiques concourt à réduire l’attractivité de la psychiatrie publique, particulièrement vulnérable sur ce point. En diminuant le temps clinique et à l’inverse de l’effet recherché, il ne fera qu’accroitre les situations où contention et isolement s’avèreront nécessaires.
3- La Commission nationale de la psychiatrie, que vous venez de mettre en place, a mentionné que sur plusieurs points la loi serait inapplicable sans aménagements et sans préalablement « un travail de terrain par étapes ». Elle a également insisté sur les risques de rupture du secret médical dans le cadre des éléments à fournir au Juge des libertés et de la détention ainsi qu’aux multiples intervenants impliqués dans la procédure envisagée.
4- Les conditions du contrôle par le juge sont contestées par les magistrats eux-mêmes, dont certains préconisent une application de la loi par des mesures provisoires rendant possible sa mise en oeuvre.
Les organisations signataires de cette lettre ne souhaitent pas que soit publié dans la précipitation un décret inapplicable.
Nous vous demandons que soit ouverte une large concertation autour de ce décret et de la prévention du recours aux mesures de privation de liberté avec toutes les parties prenantes afin que les pratiques de l’isolement et de la contention diminuent réellement et drastiquement, qu’elles soient encadrées dignement et efficacement dans l’intérêt des patients, et fassent l’objet d’une réflexion large sur le processus de soin en psychiatrie.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération respectueuse.
Dr Maurice Bensoussan, Président du Syndicat des Psychiatres Français
Pr Amine Benyamina, Président de la Fédération Française d’Addictologie
Dr Marc Betrémieux Président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
Pr Emmanuelle Corruble Présidente du Collège National pour la Qualité des Soins en Psychiatrie
Pr Olivier Cottencin Président du Collège National Universitaire des Enseignants d’Addictologie
Mme Julie Devictor, Présidente du Conseil National Professionnel des Infirmiers en Pratique
Avancée
Mme Marine Gilsanz, Présidente de l’Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie
Pr Bernard Granger, Président du Syndicat Universitaire de Psychiatrie
M. Pascal Mariotti, Président de l’Association des directeurs d’établissements participant au service
public de santé mentale
Dr Bernard Odier, Président du Conseil National Professionnel de Psychiatrie
Dr Michel Triantafyllou, Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Privé
Pr Pierre Vidailhet, Président du Collège National des Universitaires de Psychiatrie
Dr Elie Winter, Secrétaire général de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé –
Syndicat National des Psychiatres d’Exercice Privé